« Elle est très relationnelle et dans le même temps, elle ne se laisse pas faire ». Assis dans l’herbe, j’écoute Marc, l’éleveur du « Songe d’une nuit polaire », résumer ton caractère avec ces mots simples. Tu renifles la haie. Nous venons de nous choisir.
Quelques minutes auparavant, tu jouais avec deux de tes frères que Marc m’avait également présentés. Subitement, tu t’es détournée d’eux pour venir me rejoindre. Tu as posé tes pattes avant sur ma cuisse. Puis, tu as calé ta tête contre mon bras. Tu as commencé à mordiller. Nous avons joué. La rencontre s’était produite. Tu allais me rejoindre dans cette vie nomade.
Et pourtant, en ce début de matinée, elle n’avait rien eu d’une évidence, cette rencontre. Absence de contact visuel quand Marc t’a déposé dans mes bras. Juste un très furtif regard. J’avais senti l’éleveur perplexe.
Lui, je l’ai rencontré pour la première fois au téléphone. J’avais joint plusieurs de ses confrères et à chaque fois, peu ou prou la même approche.
« Quelle couleur de robe voulez-vous ? Et les yeux ? Bleus ? Marrons ? Le tarif de base c’est 1 400 €. Comptez 300 € de plus si vous souhaitez les yeux bleus. » On pouvait arriver à 1 900 € en fonction des cases cochées.
Incrédule ! J’avais l’impression de choisir les options d’une future bagnole. J’entends encore la réponse d’un éleveur à ma candide phrase : « Je n’en sais rien (N.D.L.R. de la couleur de la robe ou des yeux), c’est une rencontre que je souhaite ».
« Mais Monsieur, la rencontre vous l’aurez avec tous les chiens Vous allez vous mettre au milieu et ils vont tous vous sauter dessus. Ça ne va rien vous apprendre »
Fin de l’appel.
Alors, quand Marc m’a expliqué comment il fonctionnait au « Songe d’une nuit polaire », qu’il attendait que vous ayez cinq semaines pour vous présenter à vos futurs maîtres, le temps nécessaire pour se rendre compte de votre caractère, je n’ai appelé personne d’autre. Peu importait que tu te vêtisses de gris ou de beige, que tu aies les yeux bleus ou vairon, que tu sois mâle ou femelle. En l’occurrence, avec ta robe grise et blanche, tu es le sosie d’une louve et tes yeux marron sont le témoin de ton infinie tendresse. Tu es magnifique. Et, je suis ravi de ne pas t’avoir choisi pour cela ce matin-là.
Marc venait donc de te ramener au milieu de la portée. J’avais été plus que sensible à son regard intrigué quand il t’avait repris de mes bras. J’avais été attendri. Tu étais mignonne. Mais pas de contact visuel. Au bout de quelques instants, on avait même eu le sentiment que tu voulais t’échapper de moi. Marc, un brin déçu, m’avait présenté tes frères. Il resta dubitatif quand la communication s’ouvrit avec l’un d’eux.
« À partir de maintenant, c’est votre choix. Si je vous les ai présentés tous les trois, c’est que je pense que ça peut coller. Même si… ».
La diplomatie implique de ne pas dire « Vous faites une erreur » mais le devoir de conseil amène à le faire comprendre. Et, j’ai bien reçu le message de Marc, lui qui connaît ses chiens sur le bout du museau.
C’est ainsi, qu’assis dans l’herbe, j’ai percuté que j’avais mis une carapace. Tiraillé entre l’excitation de ce jour où j’allais te rencontrer, la peur de me tromper, le deuil non fait d’Utzo, mon copain précédent parti sept ans plus tôt… j’avais fermé les écoutilles. Et toi, tu l’avais ressenti alors tu avais préféré quitter mes bras, me laisser seul face à moi-même.
Marc a eu la présence d’esprit de vous ramener tous les trois pour que je sois certain de la décision que j’allais prendre. Il m’a dit de me poser et de voir ce qui allait se passer. Sur sa pelouse, j’avais respiré. Je m’étais connecté à mon doute et j’avais compris. Compris que tu étais l’évidence. Compris que Marc avait su rien qu’en t’observant dans la portée que c’était toi, Shinook du Songe d’une nuit polaire qui allait m’accompagner dans l’aventure Auteur Nomade. C’est quand j’ai compris que tu es venue me mordiller.
Depuis cette première balade dans les rues de Carbonne, je ne cesse de repenser à la phrase de Marc te décrivant. Pas dominante pour un sou, c’est certain, pas avare de « léchouilles », de câlins, un bonheur au quotidien, et cependant, si l’on envahit trop ton espace, tu sais bien le faire comprendre.
Bienvenue à bord, huitième merveille du monde.